Depuis janvier 2022, Radio Évasion mène les ateliers Seniors on Air à l’EPHAD du centre hospitalier de la Presqu’île de Crozon. C’est Jeanne Blanchard, la dernière recrue de la radio qui porte le projet. Nous l’avons suivie durant une séance, le mercredi 13 avril 2022.

Un soleil printanier, en ce 13 avril 2022, tape avec douceur le bâtiment aux murs blancs surmontés d’un étage, affublé de taule noir-grisâtre. L’EPHAD aux allures modernes se trouve dans le centre de Crozon. Jeanne, qui s’occupe, entre autres, des ateliers radio à Radio Évasion, y vient désormais depuis janvier, à raison d’une à deux fois par mois. Elle y a pris ses habitudes et est accueillie avec cordialité par les employées qui contrôlent le pass sanitaire à l’entrée de la résidence. Puis elle avance dans les couloirs labyrinthiques du lieu, avec un peu moins d’assurance, « la dernière fois, je me suis perdue », reconnaît-elle en souriant. Cette fois-ci, elle trouve la salle du premier coup. Autour de tables disposées en rectangles, les huit résident·e·s sont déjà installé·e·s. Léna, l’animatrice nous accueille et derrière son masque, l’on perçoit son sourire communicatif, malgré la situation. « Il y a à nouveau des cas de covid dans l’EPHAD », nous explique-t-elle, l’effectif est donc réduit. « Mais il manque aussi un homme que nous n’avons pas osé réveiller, il aurait été de mauvaise humeur », relate la femme avec une certaine affection amusée.

M. Costa et Léna.

« Aujourd’hui, on va réécouter monsieur Costa »

Jeanne se place au bout de la table, elle se présente et salue les sept femmes et l’homme qui se sont réuni·e·s. Elle sort son ordinateur et y branche deux petites enceintes. « Aujourd’hui, on va réécouter monsieur Costa », articule assez fort Jeanne Blanchard. À sa dernière venue, elle a récolté les témoignages et anecdotes de trois personnes. « Mais il n’y a que M. Costa qui est là pour se réécouter. J’espère qu’il va se reconnaître ! » M’explique la jeune femme, le visage affable, percé d’yeux bleus clairs. Elle garde près d’elle un bloc-notes et un crayon à papier. Ces séances d’écoute sont aussi un prétexte à ouvrir la conversation et glaner les prochains thèmes qu’elle abordera lors des ateliers.

Jeanne lance le premier témoignage, qu’elle a monté soigneusement avec les deux autres, afin d’en faire un épisode consacré aux animaux. Dans la grande salle blanche, de la décoration dispersée çà et là : des œufs colorés tombent des branches d’une plante, une banderole agrémentée de poussins égaye la pièce, et rappelle que ce mois-ci, nous fêtons Pâques. Un ancrage dans le temps bienvenu pour les résident·e·s. Comme l’est la présence régulière de Jeanne et les activités de l’atelier radio : « ça fait aussi travailler les souvenirs », estime Léna. Une fois la première écoute terminée, Jeanne tente de lancer une conversation qui ne prend pas très bien. L’on passe au second témoignage et les langues commencent doucement à se délier. Puis vient celui de M. Costa. C’est une histoire touchante. L’homme, dans sa jeunesse, était dans la marine marchande. Il rentrait peu et partait longtemps. Il avait un chat, qu’il aimait beaucoup et que l’animal affectionnait tout autant. Seulement, le jour d’un énième départ, le félin, qui avait compris qu’il ne reverrait pas avant longtemps son maître, cherche à le suivre pour l’accompagner dans ses aventures. Hélas, les chats ne sont pas autorisés sur le navire et notre protagoniste le ramène avec un peu de peine chez ses parents. En partant, il pose un dernier regard vers le matou derrière la fenêtre et s’en va le cœur un peu lourd. Quelques semaines plus tard, alors qu’il était en escale, il reçoit un courrier de sa mère. Le chat était mort. De tristesse.

Mme Pape, la doyenne du groupe.

« On en apprend sur les résident·e·s »

La salle s’anime. Léna se tourne vers l’homme et parle pour tous et toutes « merci de nous avoir témoigné cette histoire ». Une femme en face de Jeanne laisse sortir un « je ne savais pas qu’il parlait cet homme ». L’exemple typique de ce qu’apporte un atelier radio : c’est un formidable prétexte à la socialisation. L’animatrice le confirme : « ce sont des résident·e·s du même service, mais ils ne se côtoient pas forcément. Ici, ils peuvent apprendre à se connaître. Parfois, il suffit d’une phrase pour nouer une nouvelle relation ». D’autant qu’ici, tous et toutes viennent d’un peu partout en France et n’ont pas les mêmes âges. Les plus réservé·e·s, se mettent aussi à raconter des anecdotes. Et puis, l’on part d’un sujet pour en arriver à un autre. Finalement, certaines se livrent, parlent de leur vie. C’est fluide et intéressant. Océane, une jeune fille écoute avec attention. Elle est ici en stage pour quelques semaines et l’atelier semble lui plaire. Léna, elle, aide à la discussion en rebondissant au moment adéquat ou en répétant pour celles et celui qui n’ont pas entendu.

À l’heure du goûter, l’on continue autour d’un café. Léna est contente, « on en apprend sur les résident·e·s aujourd’hui, ça permet de faire sortir les histoires ! ». La fille de la doyenne du groupe, accompagnée de son mari, fait irruption dans la pièce. Ils lui font la bise et puis lui demandent si elle préfère rester ici. « Ah oui moi je suis bien ici ! », réplique la dame. Pas vexée pour autant, la fille sourit et glisse « à la maison, il y avait tout le temps du monde, elle aime parler, on reviendra demain ! ». Contente de voir sa mère dans ces dispositions.

Cela fait déjà deux bonnes heures que nous sommes là et certain·e·s des résident·e·s fatiguent. C’est l’heure de rentrer dans sa chambre. Deux femmes qui attendent d’être raccompagnées comparent leurs déambulateurs, dont l’un est plus « sport » que l’autre. Comme l’on comparerait une voiture. Une discussion anodine, ou qui sait, une nouvelle amitié à naître.

 Océna, Léna et Jeanne.