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C’est dans un bâtiment du Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS), dans le quartier de Bellevue à Brest, juste à côté de la présidence de l’Université de Bretagne Ouest (UBO), que se trouve Radio U. Une cour carrée qui fait office de parking, entourée de logements, que l’on traverse pour se rendre aux bureaux et studio de la station. Une porte au rez-de-chaussée, accessible par tous et toutes et dont l’emplacement fait parfois atterrir une personne au hasard d’un passage, dans les locaux. Comme un papillon attiré par la lumière l’été. « Et certains ne sont jamais repartis », ponctue Pierre-Louis Leseul, qui vient de terminer un atelier radio avec des enfants du quartier de Bellevue, non-loin des studios.

Embauché en mars 2020 comme chargé d’éducation aux médias et aux ateliers radios, il a dû s’adapter à un contexte compliqué. « J’ai commencé le jour du confinement », se remémore-t-il semi-amusé, semi-amer, « t’embauches, tu télétravailles pendant trois mois… », sa voix se stoppe et une légère grimace transparaît sur son visage et laisse imaginer la panade dans laquelle on pense s’être mis dans ce genre de circonstance. « D’autant plus, quand tu dois monter des projets d’éduc’ média et d’atelier. Là, tu te dis, ça va être tendu pour trouver des partenaires ». Malgré tout, les choses se passent bien. Il reprend des projets déjà en place dont Seniors on air. En commence de nouveaux. Pas loin d’un an et demi plus tard, « on va sûrement être obligé d’en refuser pour l’année 2021-2022 ». Preuve du succès des opérations ? « L’éduc’ média ça marche bien, mais ça prend du temps, notamment pour les monter ». Il entend par là, constituer les dossiers de candidatures. Un pan essentiel du travail, mais qui s’avère être chronophage et énergivore. Le temps passé à le faire, c’est un temps perdu ailleurs sur le terrain, en somme.


« Dans la vie, faut oser »


Le teint halé et les pointes des cheveux blondies, de ceux qui surfent à l’occasion, notre protagoniste a 31 ans et déjà la moitié d’une vie passée à faire de la radio. Ou presque. Vers 15, 16 ans, Pierre-Louis Leseul, est lycéen à l’Harteloire, dans la commune de Brest. Avec des copains, ils squattent la Maison des jeunes et de la culture (MJC) à deux pas et glandent. Jusqu’à ce qu’un animateur leur propose de créer un contenu pour une webradio. « On a fait une émission de sport jusqu’au bac », se souvient-il avec le sourire. Le début d’une aventure. Il passe une licence de LEA à l’UBO, et met quelque temps à oser franchir la porte de Radio U… À nouveau. « Après la webradio, avec un copain, on avait essayé de venir monter une émission, mais on était mineurs, ce qui compliquait l’inscription et on n’avait pas eu un très bon feeling avec le président de l’époque ». Mais qu’à cela ne tienne, en 2012, c’est reparti. Avec un ami ils lancent « Les sportifs du lundi », abordent tous les sports présents au local. Il anime et fait la technique, un bon baptême du feu.

Le sport et la radio, ça sera finalement les deux fils rouges de son parcours. Il change à plusieurs reprises de ville pour ses études et à chaque fois, le même réflexe : « j’allais toquer à la porte des radios du réseau campus ». S’en suivent, plusieurs stages en radio, dont une France Bleu, où il découvre le travail « d’ouvrier de l’information ». Il passe par radio Sun à Nantes en 2014, « c’était formateur, ça m’a appris ce qu’il ne faut pas faire en prise de son et en montage ». Son dernier jour, on lui demande d’aller couvrir un déplacement d’Alain Juppé. Le maire de Bordeaux est accueilli par celle de Nantes, Johanna Rolland. Pierre-Louis prend un temps particulier à conter l’histoire, comme un réflexe d’animateur qui captive son audience : la voix posée, le timbre plutôt grave. « Les chantiers navals de Saint-Nazaire et la société STX étaient censés produire des énormes bateaux pour la Russie, mais à ce moment-là, le pays était en train d’envahir la Crimée. Mon chef me dit, tu sais qui était ministre de la Défense quand ces contrats ont été signés ? Juppé. Donc t’y vas et tu poses la question ». Il se retrouve dans le capharnaüm d’une conférence de presse de ce type et à la deuxième question, « je ne réfléchis pas : M. Juppé vous étiez ministre de la Défense lors de la signature des contrats est-ce que vous regrettez ? ». Le regard de l’homme politique change instantanément et la réponse est de l’ordre de la langue de bois. Lorsqu’il tente de poser une autre question, un garde du corps lui fait comprendre qu’il est temps de partir… Mais l’expérience est formatrice, « dans la vie faut oser et en face c’est un être humain comme les autres ».


« Le pouvoir de l’imaginaire »


Lorsque l’on évoque l’intérêt de la radio, ses yeux marron prennent un air malicieux. « C’est d’abord un plaisir personnel. C’est un média que j’écoute et j’aime pratiquer ». Mais il relève surtout, son « pouvoir de l’imaginaire ». Pour lui, ne pas voir d’image, ça repose. « On ferme les yeux et on se laisse bercer. Par exemple, je n’aime pas regarder la tête d’un animateur ». Quant à la radio sur les ondes, il y trouve une liberté, « tu ne sais pas à qui tu parles, qui va t’écouter et en tant qu’auditeur, parfois, tu tombes sur des trucs improbables ».

En parlant de trucs improbables, justement, son souvenir le plus fort à la radio ? La question est difficile, il s’arrête, « putain y’en a pas mal ». Mais tranche rapidement, « à chaque fois, c’est des rencontres ». Plusieurs, dont ressortent celles avec Max Roméo, un reggae man Jamaïcain, « le mec était totalement perché, complètement défoncé, au Dub Camp Festival à Joué-sur-Erdre. Il pensait que les Mayas avaient raison et que le monde s’était arrêté en 2000. Ça a donné une interview complètement loufoque ». Ou plus sérieusement, sa rencontre Denis Mukwege, « le réparateur de femmes », prix Nobel de la paix 2018. « Il avait fait une partie de ses études au CHU d’Angers, un être humain exceptionnel, comme on en rencontre peu ». Mais c’est peut-être quand on lui demande qu’est-ce que c’est Radio U pour lui, qu’il est le plus ému. D’emblée, il répond, « la mif’ », à peine sarcastique. Comme une évidence de l’attachement des bénévoles et salarié·e·s à leur radio.