Restitution de la séance de travail du mardi 15 mars 2022 à Lanester. 

C’est à Lanester, dans une sorte d’algéco défraichi, probablement un vestige des années 70, qu’a lieu un après-midi de mars, la première séance de travail entre les représentant·e·s de l’éducation aux médias des radios, le coordinateur de la CORLAB Xavier Milliner et la chercheuse Barbara Fontar. La covid-19 nous a ravie le second chercheur François Sorin. Les deux viennent de deux milieux d’études différents : l’une de l’éducation aux médias, l’autre de l’action éducative. Leur regard nécessairement singulier promet de nourrir et accompagner l’étude. Le bâtiment donne cette impression étrange et familière d’être retournée sur les bancs de l’école. Les tables sont accolées pour former un U, adéquat pour se mettre sur un pied d’égalité et engager à la parole. Car ce jour, comme dans les deux années à venir, l’on va se questionner sur ce que les chercheurs et le coordinateur de la CORLAB ont appelé « les actions socio-éducatives mises en œuvre par les radios associatives ».  Des 10 radios impliquées dans le groupe recherche, 8 sont représenté·e·s. Cinq femmes et trois hommes. Nous serons proches d’une égalité en configuration complète.

« C’est une fierté »

Un tour de table est de bon ton pour les présentations. Chacun travail avec plusieurs structures et ce qui frappe en premier, c’est la grande diversité des publics pris en charge lors des ateliers d’éducations aux médias. Imaginez, certains jonglent entre des sessions en EPHAD, en collège, à la prison, avec des adultes handicapés, ou encore des jeunes en difficulté. La pluralité des publics donne presque à voir une société en entier. Dont certaines personnes que l’on entend peu ou pas. Un pan invisibilisé, ramené à la voix, par le montage et la diffusion FM. Une évidence : la diversité des missions amène ses dissemblances et ressemblances. Mais une chose semble partagée de tous et toutes : on sent leur mission habitée d’un devoir et surtout d’un devoir de bien faire. Quitte à déborder. Dans la salle on murmure, « j’ai cinquante heures à rattraper », avec un ton ni outré, ni blasé, ni habité par le stress : simplement habitué. Voilà qui en dit beaucoup sur leur quotidien.

Ce qui amène inévitablement à l’une des difficultés de cette étude, à savoir, rassembler tout ce beau monde. Se réunir plusieurs fois sur une demi-journée ou une journée, ça fait beaucoup au planning et personne ne peut vraiment se le permettre. Pourtant ils·elles sont prêt·e·s à faire l’effort, car l’étude participative apportera des bénéfices aux radios, à leurs salarié·e·s et aux personnes qui suivent leurs ateliers. L’un d’entre eux fait remarquer, « c’est une fierté de se dire que l’on vient nous voir et que l’on va contribuer à quelque chose qui va rendre lisible et compréhensible ce que l’on fait. ». Et Barbara Fontar l’assure, « c’est un investissement ». Rapidement les discussions s’enclenchent naturellement entre les participant·e·s. Ce métier est dans le fond assez solitaire et rencontrer leur homologue, échanger sur leur quotidien, questions, méthodes, plaisirs, anecdotes… Voilà une chose qui soude le groupe. Car toutes ces radios associatives sont éparpillées aux quatre coins de la Bretagne, de la ville à la campagne, du centre-ville à la zone commerciale : les voilà toutes réunies pour partager et avancer ensemble dans cette recherche. Autre point : la diversité des localisations apportera une teinte toute en dégradé à l’étude.

Les recherches académique et profane vont se côtoyer, se compléter

Cette première séance de travail est l’occasion d’énoncer l’intérêt d’une recherche participative. De façon général, elle doit permettre de se concentrer sur des domaines qui échappent trop souvent à la recherche scientifique. Concrètement, la production sera différente d’une recherche institutionnelle : les recherches académique et profane vont se côtoyer, se compléter. Une autre forme va se construire pour une visée au-delà de la littérature scientifique qui se définira au fur et à mesure, par les besoins et envies des radios.

Deux grands objectifs se dégagent donc : d’abord la production de savoir et de connaissance (qui profite aux chercheurs). Puis, une envie d’amélioration et de compréhension des pratiques (qui profite aux radios).

Dans le dispositif qui va se mettre en place, tout l’enjeu est de réunir le terrain et le quotidien des radios avec les besoins de recherche des chercheurs « on aimerait bien savoir ce qu’est l’éducation aux médias du point de vue des acteurs », résume Barbara Fontar ; comme de faire profiter les radios de la recherche des chercheurs, afin de nourrir leur travail. Le tandem de collaboration entre chercheurs et utilisateurs de la recherche donne à ce stade de l’étude un statut de co-chercheur à tous les participant·e·s. Vous suivez ? Un protocole où l’on doit veiller à éviter les rapports de domination et maintenir un rapport d’égalité ; mais aussi à ne pas tomber dans le piège de l’instrumentalisation de l’étude.

Qui dit recherche participative, implique de définir les méthodes de recherche ensemble. Mais avant cela Barbara Fontar rappelle à toutes et tous l’éthique de la recherche « primordiale ». Ici, l’on doit tout pouvoir se dire, alors la confidentialité est obligatoire. L’anonymisation des participant·e·s sera faite par les chercheurs et l’on s’engage soi-même à garder la teneur des discussions pour nous. Ce caractère impérieux de sérieux scelle le décorum de l’étude et lui donne un côté rassurant. Et ça tombe bien, car certain·e·s évoquent l’importance d’avoir la parole libre pour dire. À quoi se rajoute une remarque dans la salle, « dans le prolongement, on devrait se dire que l’on ne fait pas de jugement. On agit tous de façons différentes, ça serait pas mal de poser ça comme point de départ ».

« Cette question arrive très vite dans l’échange »

L’une des premières interrogations posées par les radios est limpide : comment définir le terme « d’éducation aux médias » ? Barbara Fontar relève d’emblée, « cette question arrive très vite dans l’échange. L’objectif de chacun de vous n’est pas le même. Se situer entre ces deux espaces, ces deux mots, c’est ce qui va être intéressant ». Au-delà de ce premier terme à définir ensemble, il importe de se mettre d’accord sur ceux que l’on va employer et s’accorder sur un vocabulaire commun. Condition nécessaire au bon déroulé des choses.

Pour inviter à penser ensemble la recherche et les méthodes que l’on va employer, Xavier Milliner distribue à chacun une feuille au format paysage. Un tableau de quatre cases nous invite à jeter sur papiers nos objectifs de recherche, le sens de la démarche et l’implication dans la recherche ou d’autres points que l’on souhaiterait aborder. L’exercice ludique est l’œuvre de François Sorin, que Xavier et Barbara suppléent dans l’explication des directives. Dans un silence studieux, on s’attèle à la tâche d’y poser ses réflexions, questions ou enthousiasmes.

À la pause, près d’un magnolia en fleur, presque tout le monde fume, Barbara Fontar avec son regarde de sociologue en fait la remarque, munie elle, d’une cigarette électronique. Elle met chacun·e à l’aise, invite au tutoiement. Au retour, l’on se met à table par groupe de trois ou quatre personnes, afin de dévoiler ses notes et d’inviter à une réflexion commune. Puis les trois groupes désignent une personne qui restitue à la communauté les idées. Pour ce premier essai, les résultats amènent à des réflexions communes à la plupart des radios.

On s’accorde sur le grand savoir-faire des radios associatives. L’on aimerait comprendre ce qu’est l’éducation aux médias par les radios dans une dimension historique et aborder son évolution. Saisir les différents objectifs pédagogiques… entre autres premières réflexions. L’après-midi est passée rapidement et à la fin de cette séance de travail, un constat s’impose : la recherche s’annonce passionnante et riche.