Elle a le ton calme et posé de celles qui savent raconter. Mais parler d’elle, ça ne lui plaît pas trop : « mener une interview oui, mais être interviewée, c’est autre chose », estime Laëtita Fitamant, animatrice-reportrice pour Radio Kerne depuis 20 ans. On lance une question, qu’elle prend à la volée pour y apporter ses réflexions, toujours intéressantes, avant de terminer la digression par un « je suis désolée je pars trop loin ! ». Et nous, nous partons au début de son aventure radiophonique. « J’ai toujours écouté la radio. Petite avec ma mère, mais pas France Culture, RTL plutôt », explique-t-elle d’emblée. Mais faire de la radio, ça, c’est arrivé un peu par hasard.


Le goût du breton


Après des études en Lettres Modernes à Quimper, elle décide de s’orienter vers une carrière de professeur de breton. Bien qu’elle ne le parle pas encore. Une partie de sa famille est originaire des Montagnes Noires, du côté de Trégourez (29). Petite, lors des grands repas organisés à la ferme pour le 15 août, elle observe son arrière-grand-mère discuter avec ses tantes « avec un goût particulier, heureuse de les revoir, mais heureuse de les retrouver et de pouvoir discuter en breton surtout ». Son regard bleu, presque azur, tombe un instant dans le vide, avant de se relever, « finalement, c’est elle qui m’a donné envie de parler la langue ». Dans sa famille, c’est un cas classique : depuis ses grands-parents il n’y a pas eu de transmission de la langue. Alors, elle tente à plusieurs reprises de s’y mettre : dans des cours d’initiation au lycée ou à la fac, avec des cours du soir… Rien n’est concluant. Pas si facile de s’y mettre ! Alors, après l’université, elle commence une formation continue de neuf mois à Landerneau au début des années 2000. Elle fait partie des premières promotions d’enseignement de la langue par cette méthode. Elle en ressort avec un niveau qui lui permet de suivre une formation pour devenir enseignante en breton mais… après quelques remplacements, ça ne colle pas. « Ce n’était pas fait pour moi », dit-elle dans un sourire.

L’été qui suit ce constat, une annonce d’embauche pour devenir animatrice/reportrice à Radio Kerne sort. « J’y suis allée pour voir, mais je ne pensais pas être prise ! » ; cela fait déjà quatre ans que la radio émet et Laëtitia l’écoute justement, « d’abord pour la playlist, puis quand j’ai commencé à apprendre le breton pour entendre la langue ! ».


Tout de suite dans le grand bain


Elle est finalement retenue et commence en octobre 2002. « J’ai été dans le grand bain tout de suite ! », se souvient-elle. Son premier reportage ? « C’était une pièce de théâtre en breton à Brest. C’était super et il y avait du monde. Maintenant, je pourrais faire une émission d’une heure là-dessus, mais à l’époque je ne suis revenue qu’avec une interview de 5 minutes ! ». Elle fait les matinales, des chroniques, un ou deux magazines par semaine. Une charge de travail importante ? « Travailler seule, c’est différent d’un travail en équipe, comme il peut exister sur les grandes radios. On développe des stratégies pour travailler vite et de façon efficace ! »


Garder une trace de l’évolution de la langue


Depuis, surtout, le métier a évolué. La place d’internet dans le boulot a considérablement augmenté. Le matériel aussi, avant les zooms, c’était des MiniDiscs qui enregistraient les interviews sur le terrain.

Mais plus encore, ce sont les interlocut·rices·eurs de Laëtitia qui se sont renouvelé·e·s. Ces dernières années, toute une génération de bretonnant·e·s de naissance a disparu, « le public s’est restreint, mais il s’est aussi diversifié ». Avec des jeunes aux profils plus hétérogènes ou des adultes nouvellement bretonnants grâce aux formations continues, par exemple. Ce qui peut éventuellement compliquer le travail : car qui dit radio entièrement en breton, implique de trouver des locut·rices·eurs. Or il y a quinze ans, « il suffisait d’ouvrir le journal et de regarder. C’est souvent comme ça que l’on trouvait des sujets et des gens à interviewer ». Le profil typique : « des personnes nées entre les années 1920 et 1930, avec un nom à consonance bretonne et qui habitait dans un village rural ». Et c’était souvent des hommes : « les femmes me disaient souvent qu’elles ne parlaient pas breton. Mais pendant l’interview, si le mari se trompait dans la phrase, elles le reprenaient ! ». Autre difficulté, celle de se faire accepter d’un bretonnant de naissance quand on ne l’est pas soi-même. « Souvent au début, on m’expliquait que l’interview ne marcherait pas, parce que l’on ne se comprendrait pas. Alors j’expliquais que la différence entre mon breton et le leur, c’était que le mien n’avait pas le même accent. Et au fur et à mesure de la conversation, je me mettais à parler en breton. Passé un moment, je le faisais remarquer à la personne : « ah bon, bah dans ce cas on peut essayer ! » ». Et enregistrer ces personnes c’était du collectage ? « J’ai fait des interviews et du collectage. Faire de la radio et du collectage c’est totalement différent. On ne pourrait pas diffuser une conversation où l’on a laissé tous les blancs, les toussotements, les tics de langages à la radio ». Or, c’est tout ce qui fait le sel et l’importance du collectage. Mais ce travail à Kerne, c’est autant de moments radiophoniques qui ont gardé une trace de l’évolution de la langue.

Travailler uniquement en breton, ça apporte quoi ? « C’est une façon de faire qui est différente. Nous avons les mêmes exigences de pluralité qu’en français, mais ça peut parfois poser des difficultés : par exemple, pour trouver un locuteur breton qui puisse partage un avis qui diverge par rapport à un autre. Alors c’est à nous de le faire parfois. On doit faire avec sa déontologie et son honnêteté intellectuelle ».