Retour sur la huitième journée de travail du projet REC-EMI, qui a eu lieu le 15 mai 2023.

Le réveil sonne ce matin-là. C’est l’aube pour certain·e·s. Pour d’autres, il fait déjà bien jour. Des quatre coins de la Bretagne, notre équipe s’apprête à rallier Rennes. Le trajet pendulaire du jour nous amène à nouveau à la maison des associations. Ce 15 mai 2023, notre salle donne sur le jardin intérieur du bâtiment. Lequel est adjacent des studios de Canal B. L’occasion de saluer son coordinateur, Quentin. Il boit son café à l’extérieur, observe notre salle et note mi malicieux, mi sarcastique, « il y a beaucoup de chaises ». Il faut dire que la salle peut accueillir 80 personnes alors qu’aujourd’hui, on se réunit en petit comité : nous ne sommes que neuf, dont seulement quatre practicien·ne·s. Plusieurs désistements de dernière minute, dus à des dates limite pour rendre des dossiers de candidature. On a beau prévoir les choses, il y a toujours des impératifs de dernière minute : c’est ça aussi une recherche participative. Nos deux chercheurs, Raphaël et Xavier sont en revanche de la partie. Depuis le festival Longueur d’ondes, nous ne nous sommes vus que par écrans interposés, lors d’une réunion de retours et un débriefing. Les retrouvailles sont chaleureuses.

Après quelques mois sans se rencontrer, assez spontanément, un échange d’expériences et de nouvelles s’enclenche ; Xavier raconte la journée qu’il a passée à la Sorbonne à Paris pour la Journée d’étude du CLEMI, intitulée « l’éducation aux médias et à l’information sur tous les fronts » le 3 avril 2023. Son résumé permet une digression autour des lectures de chacun·e sur l’EMI : une sorte de veille autour du sujet. Xavier, revient sur le colloque et en retient que « nous sommes dans l’air du temps avec notre recherche ».

François commence par détailler le programme de la journée. Il porte une chemise grise, dans les tons du ciel pluvieux que l’on aperçoit par la grande baie vitrée. L’année dernière, sous le beau soleil d’Augan, il avait sorti les tongs et la chemise de rigueur, celle du genre à ne pas dénoter sur un chemin côtier l’été. S’habiller de circonstance est une chose, être accordé au temps qu’il fait, à la nuance près du tissu : voilà qu’on le découvre baromètre dandy. Mais que peut-il bien encore nous réserver ?


Un prodigieux investissement collectif


Nous avons encore un an pour le découvrir, car nous voilà déjà arrivés à mi-parcours de REC-EMI, projet biannuel. Notre élégant M. Météo constate avec enthousiasme, « nous ne sommes pas en retard ! ». Il est vrai que la cohésion du groupe et le travail des chercheurs, Xavier et Raphaël ont permis de forger une excellente ambiance de travail, qui a entre autres bénéfices, de nous faire tenir un rythme d’activité soutenu. Toutefois, l’emploi de cette litote par notre chercheur, révèle un rapport complexe au temps dans la recherche. Si nos practicien·ne·s travaillent depuis un an à ce projet, en reprenant leur carrière à rebours, nos chercheurs commencent, eux, à rentrer, en avant toute, dans le dur du travail. Lors d’une séance à l’automne 2022, Barbara soulignait que pour eux (chercheurs), le « travail », c’est-à-dire de recherche pure, ne faisait seulement que commencer.

Pour récapituler grossièrement, la première année du projet a permis à nos chercheurs de découvrir et appréhender le groupe, l’histoire du groupe : tout est matière en soit, c’est pour cette raison que nos sessions sont enregistrées. Si nos données statistiques ont toutes été récoltées (nous y reviendrons) les entretiens individuels viennent de se terminer, quand la pratique de terrain ethnologique commence à peine… Le temps du chercheur est celui du temps long, passionnant, qui a besoin de minutie pour construire une réflexion à la hauteur des exigences de la recherche.

D’ailleurs, Barbara a une « chouette actu à nous annoncer », sourire aux lèvres elle continue, « j’ai obtenu un congé recherche du 15 juillet 2023 au 15 janvier 2024 ». Celui-ci permet à un enseignant-chercheur de prendre six mois pour avancer dans ses recherches, uniquement tous les 5 à 6 ans. Sans cours à dispenser la voilà en mesure de consacrer tout son temps à notre étude. Une aubaine ! Qui met en lumière une chose que nous percevons à chaque rencontre : nos chercheurs sont sacrément investis dans ce travail. Ç’en est la preuve limpide. Et cet engagement, est peut-être aussi, une autre explication à notre rythme de travail pour le moins efficient : nous sommes dans une émulation collective, où chacun.e donne de soi. Jusqu’à bousculer sa vie professionnelle, et de fait, sur ce genre de configuration sa vie privée. Lorsque l’on voit ce que les practicien.ne.s ont réussi à recueillir en termes de données, on imagine bien que les heures supplémentaires ont également impacté leur vie personnelle. C’est un beau dévouement qu’il importe de souligner et de remercier.

Une base de données prête à révéler ses secrets

Cette base de données, désormais prête à être utilisée, va donner à la recherche une toute autre dimension. Il s’agit de 887 fiches relevant et revenant sur les types d’actions menées par les 10 radios de notre recherche, de la saison 2015/2016 jusqu’à celle de 2021/2022. C’est Raphaël, avec le concours de Xavier et sous la direction de nos chercheurs, qui a réuni et tapé l’intégralité des informations présentes sur ces fiches sur tableur. Difficile d’imaginer autrement ce travail qu’en une avalanche de chiffres et de codes divers. Ça force le respect. Lors de la pause de la matinée, le jeune homme confie qu’au début, il en rêvait la nuit, mais qu’à part ça, « ce n’est pas désagréable à exécuter ». Barbara rajoute, « il y a un côté presque méditatif à faire cette tâche ». Pas faux : entre la minutie et la concentration qu’on soupçonne que cela requiert, il doit y avoir de ça.

« Parce qu’on peut faire dire ce que l’on veut à ces données », rappelle Barbara ; Raphaël et Xavier ont suivi une formation auprès d’un statisticien aguerri d’ASKORIA. Les deux hommes sont prêts à coder avec méthode et en mesure d’utiliser correctement les chiffres. Comme pour nous rassurer Xavier précise, « la personne qui nous a formé a une déontologie très forte : c’est essentiel que les résultats qui apparaissent ne soient pas mésinterprétés ». Avant d’obtenir les résultats tant attendus, le chemin à parcourir sera encore long et complexe, surtout aux vues des nuances que nous avons choisi de prendre en compte pour la base.

Mais une fois que nous y serons, elle sera essentielle pour notre étude : grâce à cet outil, l’on pourra mettre en exergue des faits à a lumière des chiffres et vérifier si cette chose peut paraitre évidente de prime abord et se révèle vraie. Et puis, toutes les questions à aborder sont à imaginer ensemble. « Le premier niveau de croisement pourrait être un portrait de chaque radio à la lumière des données », lance Barbara. Un·e praticien.ne abonde, « c’est attendu ». Un·e autre, « nous ne faisons pas la même chose qu’en 2015, on va pouvoir estimer l’évolution de nos ateliers ».

Nous enchaînons sur une traditionnelle « analyse de pratique », à nouveau passionnante et confidentielle, avant d’aller déjeuner.

Ethnographies

François reprend la main après le déjeuner. Il nous explique le principe des ethnographies que Barbara et lui ont commencé ou vont commencer à réaliser. « L’idée, c’est d’aller sur le terrain pour documenter l’action en elle-même », précise-t-il. En gros : il s’agit d’accompagner un·e practicien·ne durant tout le temps d’un atelier d’éducation aux médias. Le chercheur se centre sur une action : de sa phase de préparation, à la réalisation, à la rencontre avec celles et ceux qui y participent. Pour François qui a commencé, cela va s’étaler sur plusieurs mois. « Cette façon de procéder, permet de suivre les bénéficiaires de l’action du début jusqu’à la fin et de voir ce qu’iels en tirent ». Au fil des discussions, l’un·e des practicien·ne se dit hyper intéréssé·e par la pratique d’un·e autre, que François suit justement « je ne fais pas pareil et j’aimerais bien changer de pratique parfois ». Comme une sorte de mise en abyme de ces ethnographies, qui promettent une lecture passionnante. Une autre façon de procéder, consistera à suivre un practicien·ne et se centrer sur les différents temps de travail dans son activité quotidienne. D’autres formats pourront être envisagés et validés par le groupe. François ajoute, « ça serait chouette de suivre tou·te·s les practicien·ne·s ». Il marque une pause et reprend, « mais ce n’est pas impossible que l’on puisse le faire si nous bénéficions d’autres financements ».

Nous terminons l’après-midi par une nouvelle analyse de pratique, en ayant auparavant abordé la question cruciale : quelle forme prendra les résultats de notre recherche ? On n’en dit pas plus, c’est une réflexion au long cours. Mais tous et toutes ont l’envie d’un livrable à la hauteur des ambitions de notre travail.