JEB

Le rendez-vous est pris le mardi 28 mai 2024 en fin d’après-midi au sein du BAM – Bâtiment à Modeler. Situé temporairement dans les anciens locaux de l’Antipode MJC, ce lieu hybride accueille une dizaine de structures associatives et solidaires. Il a pour vocation à créer du lien et de favoriser les échanges autour d’animations culturelles et d’actions sociales dans le quartier du Cleunay à Rennes.

C’est dans cet endroit que la journaliste de Canal B, Lucie Louâpre retrouve le chercheur Fransez Poisson et la professeure de sociologie Patricia Loncle. Autour de la table se trouve également Eric, stagiaire en communication pour le Bâtiment à Modeler. Plusieurs personnes déambulent autour d’eux, présentes pour assister au cours de français dispensé dans une des salles du bâtiment. Les nationalités représentées sont principalement issues d’Afrique et du Moyen-Orient.

Après un rapide tour de table, la conversation s’oriente rapidement vers les origines du projet JEB – Jeunes et Exil en Bretagne. Il fait suite à « Covid exil » mené par Fransez Poisson quelques années auparavant, avec l’objectif cette fois-ci de s’attarder sur le parcours des jeunes exilés de moins 25 ans.

« On se disait qu’il y avait quand même une question spécifique autour de la prise en charge des jeunes personnes exilées, notamment des jeunes de moins de 25 ans qui ne peuvent pas obtenir le RSA. Donc on s’était dit que ce serait vraiment intéressant d’aller plus loin » précise Patricia Loncle.

Le groupe de recherche décide alors de s’appuyer sur des structures en dehors de Rennes pour mener leurs entretiens et effectuer leur temps d’observation. Il se tourne plus particulièrement vers La Fédé à Redon et l’association ASTI à Saint-Brieuc avec lesquelles des collaborations ont déjà été initiées par le passé.

Après une cinquantaine d’entretiens effectués auprès de bénévoles et de jeunes personnes exilées, le constat est multiple. Tout d’abord, il en résulte un manque de coopération entre les structures locales. Cela nuit donc à leur identification auprès des jeunes exilés et leur capacité à les accompagner correctement à chaque étape. « J’ai la sensation qu’il n’y a pas forcément de liens entre les réseaux jeunesse, éducation populaire et les réseaux autour de l’exil. Il y aurait sans doute cette possibilité de renforcer les réseaux qui sont mutuels » indique Fransez Poisson.

Mais surtout une difficulté pour chacun de ces jeunes de pouvoir choisir leurs propres orientations : profession, formation, lieu de résidence… En effet, l’administration publique leur impose et leur assigne souvent des choix selon les besoins d’un territoire sans tenir compte de leurs parcours et savoirs.

« On ne sait pas tirer parti, dans notre pays, de toute cette expertise, de ces talents-là. On réfléchit à partir de supposés besoins plus importants du marché du travail sur des métiers dits en tension. Donc ce qui nous intéressait, c’était de voir comment les personnes composaient avec et arrivaient plus ou moins facilement à donner du sens à ces parcours-là qui leur sont en partie assignés, ou bien à trouver des marges de manœuvre » explique Patricia Loncle.

C’est au tour d’Eric d’abonder dans ce sens en témoignant de sa propre expérience : « J’ai une licence en publicité-marketing dans mon pays, la Côte d’Ivoire, mais quand je viens ici, je reprends en deuxième année en licence. Ça me dit que je n’ai pas leur niveau. Donc ça déjà, c’est une contrainte qui m’est assignée. Je dois faire avec ».

Au-delà de ces observations, ce projet a permis l’organisation en juillet 2023 d’Exil’art, un événement culturel « qui a réuni toutes les personnes en situation d’exil dans la ville de Rennes. […] Il y avait des ateliers artistiques : un atelier de la langue bretonne, un atelier d’arts plastiques, un atelier d’écriture… » raconte Eric. Un moment d’échange et de partage pour les personnes impliquées dans le projet.

Cette concrétisation s’est également traduit par des écrits plus académiques avec la rédaction de mémoires étudiants, mais également par le démarrage d’une thèse dans la continuité du projet. Elle s’intéresse aux rôles des pratiques artistiques dans la construction des parcours à l’âge adulte des jeunes exilés en comparant la situation rennaise avec la situation de jeunes en Irlande.