PECHKEUR

Reconnue pour être l’un des métiers les plus accidentogènes^[1], la profession de marin-pêcheur se distingue également par sa discrétion à discuter des conditions de travail à bord. Laurianne Le Cossec est impliquée depuis 2022 sur ces questions-là en tant que fondatrice et dirigeante de la société Glaz, un cabinet d’expertise maritime dédié à l’accompagnement des marins. Sur une proposition de Stéphanie Brulé-Josso, ethnologue et psychologue du travail, et avec l’appui de Pascale Perron, facilitatrice et ingénieure en intervention sociale, elle a souhaité être porteuse d’un projet s’intéressant au vécu du travail des marins en expérimentant une méthode originale dans le secteur professionnel : la recherche-action. Le projet PECHKEUR est ainsi née d’une volonté et d’une collaboration commune d’expertes de créer des espaces de discussions entre les professionnels de la filière pêche pour réfléchir à l’amélioration de la santé et du bien-être au travail.

Accompagné par des acteurs de la santé et de la prévention des gens de mer et deux laboratoires de recherche universitaires : le LiRIS, laboratoire de sociologie et d’innovations sociétales de Rennes 2 et le Lab-STICC, spécialisé dans la recherche en économie et gestion des risques, le projet avait pour particularité de s’appuyer sur des données produites par les participants eux-mêmes. Stéphanie Brulé-Josso, psychologue du travail et ethnologue, qui a mené les entretiens en binôme avec Pascale Perron, revient sur la méthode employée :

« Ce ne sont donc pas les chercheurs, dans ce projet, qui vont au contact des marins et produisent des données, comme c’est le cas classiquement. Nous sommes dans une méthodologie qui s’appelle la psychodynamique du travail et qui accompagne les marins dans la production d’une réflexion sur leur situation ».

Malgré les profils singuliers de chaque marin, une thématique commune finit par émerger : la relève et donc le manque d’attractivité du métier auprès des jeunes. Historiquement transmis de père en fils, le métier attire de moins en moins la jeune génération et ne peut donc plus compter uniquement sur cette tradition familiale, comme le confirme Laurianne Le Cossec : « Il y a un problème de transmission du métier. […] Et l’enjeu, c’est de réussir à créer des vocations. Parce qu’au bout du compte, c’est quand même la souveraineté alimentaire de notre pays, et ça, c’est un sujet primordial ».

Toujours dans cette dynamique d’échange, les espaces de discussions s’élargissent et vont même jusqu’à se délocaliser au lycée maritime du Guilvinec. Au contact des premiers concernés, les armateurs et patrons pêcheurs se confrontent alors à des interrogations qu’ils n’avaient pas envisagées, par exemple l’adaptabilité du corps aux conditions de travail. Le partage d’expérience en stage de ces jeunes met également en exergue les conditions de travail et surtout la sécurité à bord.

Malgré les risques bien connus par ces lycéens, l’envie et la vocation restent intactes ! Et ce sont ces jeunes apprentis qui en parlent le mieux, à l’image du témoignage de l’un d’entre eux : « L’aventure ! Le vent que tu sens, la mer qui est bonne. Tu sens que tu es bien, tu te sens vivre. […] C’est une aventure, marin. Même s’il y a du mauvais temps, que ça fait un peu peur, que c’est impressionnant, c’est ça qui est bon ». Un discours prometteur qui ne demande que des garanties et des protections pour pouvoir se propager auprès d’un plus grand nombre.

Une fois un diagnostic partagé entre acteurs, il devient possible de proposer des solutions concrètes. En décembre 2024, se tiendra une réunion de dimension régionale. Elle aura pour objectif de proposer aux acteurs de la filière engagés dans le projet, des pistes de réflexion sur le vécu des dangers à bord et ainsi favoriser l’émergence de propositions d’action. Un dernier rendez-vous qui marque la fin de PECHKEUR mais qui augure le début de nouvelles initiatives pour améliorer les conditions de travail des marins pêcheurs et accompagner la filière sur ces enjeux fondamentaux pour l’avenir de la profession.

[1] Secrétariat d’État chargé de la Mer (2020-2021). Rapport des accidents de travail maritime. Source